"Guerre des riches" dans le football européen: la création lundi d'une "Super League", lucrative compétition privée fondée par douze clubs dissidents et vouée à supplanter la Ligue des champions, a suscité une levée de boucliers générale parmi les supporters et les instances du ballon rond.
Cette fois, les hostilités sont lancées: après des décennies à agiter le spectre d'un schisme, les cadors du continent, Real Madrid, Liverpool ou Manchester United en tête, ont fini par franchir le pas.
Pour la presse européenne, la guerre dans le football européen est déclarée: "la guerre des riches", titre le quotidien sportif français L'Equipe, "c'est la guerre", insiste le tabloïd britannique Daily Express, tandis qu'en Espagne, AS parle d'"une bombe dans le football européen".
Ebranlé par la pandémie de Covid-19, le sport roi en Europe voit remis en cause de l'actuel système pyramidal de redistribution des ressources télévisuelles entre la C1, compétition phare, et les championnats nationaux.
Les clubs rebelles (AC Milan, Arsenal, Atlético Madrid, Chelsea, FC Barcelone, Inter Milan, Juventus, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Real Madrid et Tottenham) prétendent instaurer un controversé système de ligue quasi fermée comparable aux championnats nord-américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL).
"La saison inaugurale (...) démarrera aussi tôt que possible", ont assuré les clubs fondateurs dans un communiqué, sans fixer de calendrier précis.
"Ressources supplémentaires"
Selon une source ayant connaissance des tractations, le Bayern Munich et le Paris SG ont été approchés. Mais les deux finalistes de la dernière C1 n'ont pas donné suite, ce qui a conduit l'UEFA à remercier publiquement "les clubs allemands et français" pour leur loyalisme.
Une autre source, proche des clubs fondateurs, a néanmoins assuré à l'AFP que deux clubs français "au minimum" seraient présents chaque année en "Super League", sans préciser l'identité ou le mode de sélection des clubs concernés. L'une des hypothèses est par exemple que le vainqueur de la Ligue 1 puisse être qualifié.
Côté allemand, le Bayern Munich et Dortmund se sont clairement prononcés contre le projet de "Super League", a affirmé le patron du Borussia Hans-Joachim Watzke.
La nouvelle compétition, selon ses promoteurs, est vouée à "générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football".
"En contrepartie de leur engagement, les clubs fondateurs recevront un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et compenser l'impact de la crise du Covid-19", poursuivent les organisateurs, qui promettent aussi une "Super League" féminine.
La banque américaine JPMorgan a confirmé lundi qu'elle allait financer le projet de "Super League" européenne, sans faire d'autres commentaires.
Si ces revenus mirifiques sont confirmés, ils supposent des recettes bien supérieures à celles obtenus par l'UEFA pour l'ensemble de ses compétitions de clubs (Ligue des champions, Ligue Europa et Supercoupe d'Europe), qui avaient généré 3,2 milliards d'euros de droits TV en 2018-2019, avant une pandémie qui a fortement plombé le marché européen des droits sportifs.
Selon ses promoteurs, la "Super League" fonctionnerait sous la forme d'une saison régulière opposant 20 clubs, quinze d'entre eux ("les clubs fondateurs", les 12 cités et trois supplémentaires restant à déterminer) étant qualifiés d'office chaque année et les cinq autres choisis "à travers un système basé sur leur performance de la saison précédente".
Au terme de cette première phase à deux groupes de 10 (18 journées), débutant au mois d'août, des play-offs seraient organisés jusqu'en mai pour décerner le trophée.
Les matches se tiendraient en principe en milieu de semaine, entrant en concurrence directe avec les cases réservées pour la Ligue des champions, mais pas avec les championnats nationaux traditionnellement organisés le week-end.
Menace d'exclusion
Reste à savoir quelles réponses l'UEFA, vent debout, et la Fifa, moins en pointe sur le sujet, apporteront à cette tentative de sécession, comparable à celle qu'a connu le basketball européen, entre Euroligue et Ligue des champions de basket (Fiba).
La Fifa "ne peut que désapprouver une Ligue européenne fermée et dissidente", a simplement réagi la fédération internationale lundi.
L'UEFA avait prévenu dès dimanche que tout club dissident serait exclu des compétitions nationales et internationales, et que leurs joueurs ne pourraient plus jouer en équipe nationale, par exemple à l'Euro ou à la Coupe du monde.
Il faudra voir si sa menace est conforme au droit européen de la concurrence, ce qui laisse présager une éventuelle bataille juridique.
Sollicitée par l'AFP lundi matin, l'UEFA a indiqué qu'il n'y aurait "pas de communication prévue avant la conférence de presse", toujours attendue en début d'après-midi à l'issue de son comité exécutif qui a débuté à 09h00 (07h00 GMT) et qui devait adopter une réforme de la Ligue des champions à l'horizon 2024 et finaliser la liste des villes hôtes de l'Euro cet été.
En attendant, les prises de positions anti-"Super League" se sont multipliées, notamment parmi les représentants de supporters.
"Il y a un sentiment de vertige, de trahison, de dépossession. C'est un braquage. Ils font disparaître toute forme d'incertitude sportive, ce qui fait la base de l'attachement à ce sport", a déclaré à l'AFP Ronan Evain, coordinateur du réseau Football Supporters Europe.
"Ces propositions sont tout à fait inacceptables et elles choquent les supporters de Manchester United", a réagi l'association des supporters du club mancunien (MUST).
Et les responsables politiques ont également fait part de leur inquiétude, à l'image de l'Elysée ou du Premier ministre britannique Boris Johnson.
La présidence française a ainsi fustigé un projet "menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif" et la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu a dénoncé un "club VIP de quelques puissants".
Lundi matin, un haut responsable européen, Margaritis Schinas, commissaire en charge de la Promotion du Mode de vie européen (Culture, Education) a jugé la "Super League" contraire aux valeurs européennes de "diversité" et d'"inclusion".