La Super Ligue, projet mort-né? Face au tollé et aux menaces des instances du football, les douze clubs dissidents fondateurs de cette compétition privée rivale de la Ligue des champions ont connu mardi leurs premiers soubresauts, certains de leurs membres étudiant l'hypothèse d'un retrait.
Ils pensaient convaincre le monde du football en proposant plus de matches à fort enjeu, et visaient des revenus colossaux en s'assurant un ticket permanent dans une épreuve quasiment inaccessible aux autres équipes du continent...
Mais les douze "mutins", emmenés par le Real Madrid, Liverpool ou la Juventus Turin, ont commencé à douter de manière aussi tonitruante qu'ils avaient fait sécession dans la nuit de dimanche à lundi.
Deux d'entre eux, Chelsea et Manchester City, sont en effet sur le point de se retirer du projet, selon plusieurs médias britanniques dont la BBC mardi soir. En Espagne, d'autres informations de presse évoquent le retrait à l'étude de l'Atlético Madrid.
Victoire judiciaire pour les mutins
Si aucun des douze clubs fondateurs n'a communiqué sur un éventuel retrait mardi soir, la levée de bouclier générale des supporters, des instances et même des gouvernements semble porter ses fruits, alors que dans la soirée, plusieurs centaines de fans de clubs anglais avaient bruyamment manifesté leur désapprobation aux abords du stade Stamford Bridge de Chelsea, à Londres.
"Manchester City est dans mon sang, mon oncle a joué pour City et tout le monde dans ma famille est fan de City. Mais je ne veux pas qu'on fasse partie de cette élite, je préfèrerais encore nous voir en League Two (D4)", a assuré à l'AFP Zac Bookbinder, 16 ans, venu manifester avec des amis.
L'UEFA, qui défend de son côté sa propre réforme de la Ligue des champions, traditionnelle compétition des clubs du Vieux continent depuis 1955, avait tiré lundi à balles réelles sur ces "serpents", "guidés uniquement par l'avidité", des mots mêmes du président de l'UEFA Aleksander Ceferin.
Celui-ci n'avait pas hésité à menacer les douze dissidents de représailles monumentales, comme l'exclusion de ces clubs de toutes les compétitions nationales et internationales, brandissant même un Euro ou une Coupe du monde sans les joueurs internationaux évoluant dans ces équipes.
Mais il les avait aussi exhorté à "changer d'avis" après "une énorme erreur".
Le président de la Fifa Gianni Infantino était lui aussi venu au secours d'un foot européen bouleversé, en réitérant son opposition à ce "club fermé". "Soit vous êtes dedans, soit vous êtes dehors", a-t-il lancé mardi matin lors du congrès de l'UEFA à Montreux (Suisse).
La Super Ligue, emmenée par le patron du Real Madrid Florentino Pérez, semblait avoir anticipé ce tollé et ces menaces. Elle avait même remporté mardi une première victoire judiciaire en obtenant d'un tribunal de commerce de Madrid une décision susceptible de geler provisoirement toute sanction la concernant.
Tollé en Europe
En face, la riposte s'est pourtant organisée à tous les niveaux.
Au Royaume-Uni, berceau du sport roi en Europe, le Premier ministre Boris Johnson a assuré qu'"aucune mesure (n'était) écartée" par le gouvernement pour stopper le projet, "y compris l'option législative".
Avec une réunion prévue vendredi du Comité exécutif de l'UEFA, la question de l'exclusion des clubs "mutins" restait sur la table, en particulier pour l'édition actuelle de la Ligue des champions, dont le dernier carré comprend trois clubs concernés (Manchester City, Chelsea et le Real Madrid).
De nombreuses figures du football ont aussi affiché leur opposition au projet susceptible de dynamiter l'édifice pyramidal du ballon rond européen et la redistribution des revenus.
L'une des opinions les plus virulentes est venue de Pep Guardiola, entraîneur vedette de Manchester City, l'un des clubs dissidents. Pour le Catalan, cette nouvelle coupe d'Europe perturbe l'idée même de compétition.
"Ce n'est pas du sport si le succès est garanti ou si perdre n'a aucune importance", a asséné Guardiola, alors que Jürgen Klopp, entraîneur de Liverpool - autre club frondeur -, s'était montré réservé lundi.
Ces déclarations résument la profonde ligne de fracture créée par les 12 clubs rebelles, composés de six anglais, trois espagnols, trois italiens... mais aucun allemand ni français.
"Toute proposition sans le soutien de l'UEFA (...) ne résout pas les problèmes", a d'ailleurs estimé Nasser Al-Khelaïfi, patron du Paris SG, qui n'a pas suivi les dissidents.
Ces derniers ont annoncé vouloir instaurer une ligue quasi fermée comparable aux championnats américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL).
Objectif: une saison régulière opposant 20 clubs, puis des play-offs, avec quinze membres de droit (les 12 "clubs fondateurs" et trois autres à déterminer) et cinq autres équipes choisies "sur leur performance de la saison précédente".
Les promoteurs ont fait valoir que la nouvelle compétition était vouée à "générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football". Avec à la clé "un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros" pour les 15 clubs fondateurs.
A titre de comparaison, l'UEFA avait perçu 3,2 milliards d'euros de recettes pour ses compétitions de clubs en 2018-2019, avant la pandémie, redistribués aux plus de 80 clubs participants à la Ligue des champions et la Ligue Europa.