
Le président du Mauritius Turf Club (MTC), Jean-Michel Giraud est toujours déterminé à mener le combat contre les bookmakers clandestins et ceux qui manigancent pour se faire de l’argent en se servant des courses hippiques. Quant à la décision de l’octroi de sa Personal Management Licence (PML), qui lui aurait permis de siéger au sein de la Mauritius Turf Club Sports and Leisure (MTCSL), il n’en fait pas grand cas. De plus, il répond à Dev Beekharry de la Gambling Regulatory Authority (GRA) par rapport à la situation de MTC / MTCSL.
Le 5 mars dernier, les membres du MTC vous ont choisi pour être leur président. Malgré le vote de confiance, vous ne pouvez pas siéger sur le board de la MTCSL pour les raisons que nous connaissons. Avez-vous l’impression de déranger ?
Je ne sais pas pourquoi je dois déranger. J’ai été élu président du MTC parce que les membres du comité savent que je suis tout à fait capable d’affronter de telles situations. En acceptant de retourner au sein du MTC, je savais pertinemment bien que j’allais rencontrer ce genre de problèmes, voire des obstacles. Dès le premier jour, j’ai dit deux choses. Primo, que je vais mener un combat sans relâche contre les bookmakers clandestins et le betting illégal, notamment contre tous ceux qui profitent du système pour seremplir les poches au détriment du MTC.Secundo, j’ai aussi dit que je vais mebattre pour préserver nos prérogatives,car je suis d’avis que le MTC, en tant qu’organisateur, a besoin de moyens pourmener à bien sa mission. À partir de là,la situation s’est compliquée d’un coup et je suis devenu une cible. Mais celane changera rien dans mes habitudes,car ceux qui me connaissent le savent.Je suis un homme de conviction. Je me bats pour mes idées, et ici, je donneraimon maximum pour mon club.
Dans son dernier budget, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, préconise des amendements à la GRA Act. S’ils sont adoptés, vous risquez aussi de ne plus pouvoir exercer comme président du MTC, si jamais vous n’obtenez pas votre PML. Quelle est votre réaction face à ces propositions ?
Oui, j’ai lu cela avec beaucoup d’intérêt. Là aussi, c’était prévisible. L’Anglais vous aurait dit : « The writing is on the wall ». Et pour cause ! Mais autant que je sache, nous sommes toujours dans un pays démocratique où il y a toujours des instances capables d’aider de simples citoyens comme moi. On en discute actuellement et on explore toutes les avenues. Je dois dire que suite à la demande du Défi Plus, j’ai parlé à différentes personnes et toutes m’ont unanimement déconseillé de donner cette interview de peur que je subisse encore des représailles. Et ils ont raison ! Nombreux sont les gens, et surtout les turfistes, qui me soutiennent dans mon action de combattre l’injustice et ils sont encore plus nombreux ceux qui disent que sans mes collègues administrateurs et moi, l’histoire du MTC aurait déjà été morte et enterrée. Je dois dire une chose : le MTC n’est pas à vendre. Ni maintenant et encore moins dans le futur. Et personne ne pourra effacer son histoire et encore moins sa contribution dans le développement du sport hippique.
La majoration de la « betting tax » de 12 % à 14 % a surpris tous les « stakesholders ». Qu’est-ce qui peut inciter à prendre une telle décision qui poussera les gens à miser avec les clandestins et qui fera donc perdre de l’argent à tout le monde, y compris l’État ?
Vous avez tout dit et vous avez raison, sauf que vous n’êtes pas celui qui décide, sinon vous auriez fait comme moi, c’est- à-dire baisser la taxe, surtout en cette période de huis clos et mener un combat sans relâche contre le betting illégal. Dans cette équation, les clandestins sortent gagnants. L’État et le MTC sont les deux plus gros perdants. Si le commun des mortels sait ce qui se passe dans le milieu hippique, comment accepter que nos principaux partenaires l’ignorent ? Le fait que l’État et le MTC ne gagnent pas suffisamment, veut-on continuer ainsi ou doit-on changer le système ? Et le système ne peut être changé que si on en a les moyens et pour avoir les moyens, il faut mettre une structure bien organisée, avec d’abord et avant tout l’apport d’une GRA disposée à travailler main dans la main avec le MTC. En début de saison, j’ai fait une promesse aux employés du MTC : celle de leur donner de meilleures conditions de travail, car faut-il souligner, ces derniers n’ont pas eu une seule augmentation durant ces quatre ou cinq dernières années. L’industrie des courses est florissante, mais malheureusement l’argent qui doit lui revenir de droit est englouti dans le « betting » illégal avec des bookmakers clandestins qui ont poussé comme des champignons dans tous les coins et recoins du pays. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessein, car vous savez mieux que moi que ces bookmakers clandestins occupent aujourd’hui au moins 75 % du marché, et cela, sans être inquiétés.
Venons-en à votre relation tendue avec la GRA. Avec recul, ne pensez-vous pas que vous avez été mal inspiré de vouloir lui déclarer la guerre avant même votre élection, en insistant qu’il revenait au MTC de prendre certaines décisions ?
Je n’ai jamais déclaré la guerre à la GRA. Du reste, j’ai accepté votre invitation de participer à une émission sur Radio Plus où M. Dev Beekharry était également invité. Je suis venu, car je voulais d’abord le rencontrer en personne et puis c’est un fait que je ne refuse jamais une interview, surtout quand celle-ci peut éclairer l’opinion publique. Par ailleurs, dois-je faire ressortir que dès mes premiers jours au MTC, j’ai fait demander une réunion avec la GRA, justement pour une prise de contact, mais celle-ci nous a été refusée. À ce jour, je suis toujours dans cette attente. Oui, il incombait au MTC de prendre certaines décisions pour que la MTCSL puisse démarrer sur le bon pied, mais faut-il encore savoir pourquoi ces décisions n’ont pas été prises ? De toute façon, avec ou sans un changement de direction, la saison 2021 n’aurait jamais pu commencer le 20 mars, car c’est vrai que bien des formalités n’avaient pas été remplies alors que nous étions en plein confinement. Je ne pouvais pas avoir mon certificat de moralité, tout comme certains de mes collègues. Oui, il y a eu du retard et c’est la raison pour laquelle au sein du MTC, nous voulons situer les responsabilités.
Une des décisions prises par la GRA a été de ne plus permettre aux anciens administrateurs de se retrouver dans le rond de présentation avant une course et elle a fâché beaucoup à votre niveau. Pouvez-vous nous expliquer la pertinence d’avoir un ancien administrateur aux côtés de jockeys, entraîneurs et propriétaires lorsque les chevaux tournent ?
J’aurais aimé vous retourner la question : quelle est la pertinence d’interdire le rond de présentation à un ancien administrateur ?
N’est-ce pas une bonne chose que d’avoir un régulateur qui a un contrôle, un droit de regard et qui veille sur l’intérêt du public ?
Je ne crois pas que vous voyez les choses comme nous le voyons en tant qu’organisateur. Certes, il y a le contrôle, mais je crois que nous avons dépassé ce stade, car nous parlons aujourd’hui d’ingérence et de mainmise. Il ne faut pas confondre ! Et s’il y a un contrôle qui doit être fait, c’est principalement au niveau des bookmakers clandestins et du betting illégal.
La GRA ne jouerait-elle pas ce rôle comme il se doit ?
Le MTC n’est pas là pour juger la GRA, mais il serait dans l’intérêt de tout le monde qu’un contrôle plus prononcé et plus organisé soit effectué dans le milieu du « betting » avec une équipe renforcée et structurée. Tout doit être fait de façon professionnelle et assidue. C’est mon souhait le plus cher.
En 25 ans, c’est la septième fois que vous assumez la présidence du MTC. Au tout début déjà, vous aviez déclaré la guerre à tous les mafieux. Cette guerre a-t-elle pu être remportée, même en partie, ou alors la mafia est plus tenace que ce que vous pensiez ?
La guerre contre la mafia ne sera jamais remportée à 100 %. Je l’ai déjà dit dans une interview il y a 25 ans, que j’ai eu l’occasion de relire cette semaine. C’est comme la guerre que mènent les autorités contre la drogue. Elle ne sera pas gagnée, mais au moins on peut diminuer ses effets, avec des efforts conjugués et conséquents. Selon mes informations, le pari illégal vaut environ Rs 10 milliards sur le marché. C’est sûr qu’on ne pourra au grand jamais récupérer cette somme, mais si on arrive à en reprendre rien que 25 %, ce sera une grande victoire pour la MTCSL. Car alors on pourra non seulement donner plus de « stakesmoney» aux propriétaires et entraîneurs, mais on pourra également rénover et améliorer nos infrastructures, donner un environnement plus agréable aux chevaux, offrir de meilleures conditions de travail à nos employés et pourquoi ne pas construire un hippodrome moderne ou un centre équestre avec toutes les facilités requises.
La mafia de l’époque est-elle la même que celle d’aujourd’hui ?
Si auparavant on parlait d’une mafia, aujourd’hui on parle des mafias et des mafiosos. Qui sont-ils ? En toute sincérité, je crois qu’il incombe à la Police des Jeux de les démasquer et de les traduire en justice. Dans un récent article de presse, j’ai lu que l’identité d’au moins d’une de ces mafias est connue des autorités. Ce qui me pousse à dire que nous aurons peut-être des développements à ce niveau, très bientôt...
On parle beaucoup de « courses truquées ». N’est-ce pas à la salle des commissaires d’abord de déceler les anomalies dans certaines courses et de les rapporter aux autorités pour des enquêtes approfondies ?
Cela a été toujours le cas autant que je sache. Quand il y a un cas sérieux, la Police des Jeux prend toujours le relais, mais le résultat final ne dépend pas du MTC. Dans ses deux interventions dans la presse, M. Paul Beeby, ex-Head of Integrity de la GRA, est allé droit au but. Il n’y est pas allé de main morte. Il a mis le doigt sur la plaie en révélant qu’il n’y a pas eu de suivi dans une enquête qu’il a menée, car on n’a pas fait grand cas de ses recommandations. La GRA a émis un communiqué et espérons qu’il y aura un suivi pour rassurer la communauté des turfistes.
Êtes-vous satisfait de la sévérité des sanctions prises à l’encontre de jockeys et entraîneurs ?
Depuis que je suis président du MTC, j’ai toujours été solidaire du board des Commissaires de Courses. Je ne me suis jamais interposé dans leurs décisions. À chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
Le huis clos a un impact direct sur les finances du MTC / MTCSL. Pendant combien de temps allez-vous pouvoir tenir le coup ?
Bien sûr que le huis clos a un impact sur nos finances. Pour répondre concrètement à votre question, je dirais que nous ne pourrons pas tenir longtemps si le gouvernement ne revoit pas la taxe à la baisse, surtout en cette période de huis clos. Nous avons pris certaines décisions et nous en avons discuté à différents niveaux. C’est vrai que la situation devient alarmante.
Vu la situation, n’est-ce pas le moment de chercher des partenaires pour avoir des finances plus solides et envisager aussi la construction d’un nouvelhippodrome ?
Le projet d’un nouvel hippodrome, voire d’un Centre Équestre, fait toujours partie de nos plans d’avenir. Il y a tout un travail à abattre en amont, mais quand l’heure viendra, nous choisirons nos partenaires. C’est vrai que nous ne pourrons nous embarquer seuls dans un projet d’une telle envergure et que nous aurons besoin d’un certain nombre de partenaires.
Vous vous êtes de tout temps exprimé contre le « fixed odds betting ». Pensez- vous toujours qu’il faille l’éliminer ?
Le système de « fixed odd betting » nous expose aux problèmes que le monde hippique rencontre régulièrement...En tant que journaliste hippique, vous connaissez le mécanisme mieux que moi. Toutefois, je suis convaincu qu’avec un contrôle plus rigoureux, nous pouvons atténuer son impact et ses effets. Mais nous ne sommes que l’organisateur des courses, le contrôle ne fait pas partie de nos tâches, voire nos prérogatives.
Dev Beekharry a accusé le MTC de s’autodétruire en n’ayant pas suffisamment fait pour assurer sa pérennité. Vos commentaires ?
C’est une déclaration révélatrice. Mes prédécesseurs ont certainement eu de multiples réunions avec la GRA, mais aucune remarque de ce genre ne leur a été faite de façon officielle. Tout récemment, le président M. Dabydin a fait les éloges du MTC dans une réunion officielle. Je conclus donc que M. Beekharry parle en son nom personnel. Ceux qui connaissent le MTC et qui ont suivi son parcours savent qu’il a toujours œuvré pour l’avancement du sport hippique et ses réalisations sont là pour le prouver. Et s’il a 209 ans d’histoire et qu’il existe encore, c’est justement parce que son professionnalisme est connu et reconnu à la fois à Maurice et sur le plan international. Faut-il que je précise que le sport hippique est toujours le sport et le divertissement numéro un des Mauriciens qui, année après année, nous ont renouvelé leur confiance ? Et sur Facebook, les internautes ont été nombreux à réagir en faveur du MTC et ils le font de leur propre gré, contrairement à d’autres. Aujourd’hui, alors que nous nous battons contre tout ce qui peut ruiner le sport hippique, certains de nos partenaires naviguent malheureusement dans la direction opposée. Le MTC est le dernier - je dis bien le dernier - à pouvoir s’adonner au blanchiment d’argent. L’État est en présence de tous nos chiffres avant même que nous le soyons, et alors qu’il impose le MTC à opérer comme une compagnie publique, les bookmakers, eux, n’ont pas cette obligation. Allez comprendre le pourquoi de cette décision ! Au niveau des opérateurs des paris, il y a plusieurs manquements que nous considérons comme inacceptables. Nous avons, du reste, déjà averti la GRA sur ces questions et même le Rapport Parry en avait parlé ouvertement. Il y a donc du travail sur la planche, mais pour atteindre notre objectif, il nous faut travailler ensemble.
Toujours dans le même esprit de ce qu’avance Dev Beekharry, le MTC n’a- t-il pas failli en n’ayant pas son propre « tote » par exemple, à l’exemple du Hong Kong Jockey Club ?
Tout cela est archi faux et ceux qui étaient là à l’époque le savent bien. Le MTC voulait une licence de Tote, mais le Premier ministre d’alors (Ndlr : Sir Anerood Jugnauth) était d’avis que s’il acceptait la demande du MTC, cela aurait placé celui-ci dans une position de juge et partie. Primo, il aurait été l’organisateur des courses et secundo l’organisateur des paris. Avait-il raison ou tort ? Peut-être à l’époque, ses arguments tenaient la route, mais qu’aujourd’hui ils sont révolus. Cela dit, nous avons demandé une licence de International Totalisator à la GRA et nous sommes toujours dans l’attente depuis maintenant pas mal de temps.
Avez-vous toujours espoir d’obtenir votre PML ?
À l’heure où je vous parle... non ! Je suis toujours dans l’attente. Au fait, je n’ai aucun espoir ou de désespoir, car je ne suis pas celui qui doit prendre cette décision. On a fait ce qu’il fallait faire et il ne nous reste qu’à attendre. Néanmoins, j’espère que l’attente ne sera pas longue. L’importance aujourd’hui est de travailler comme une seule équipe pour sauver notre patrimoine, car qu’on le veuille ou non, le Champ-de-Mars fait partie de l’histoire du pays.