Il y a douze ans le Qatar obtenait à la surprise générale l'organisation du Mondial-2022 et il ne reste plus qu'une journée avant le lever de rideau dimanche, mais critiques et controverses ont jalonné ce long chemin jusqu'au bout.
Au point de susciter samedi une vive réplique du patron du football mondial, le Suisse Gianni Infantino, qui s'en est pris aux "hypocrites" des pays occidentaux qui, pour prix de ce qu'ils ont fait "au cours des 3.000 dernières années", devraient s'excuser pendant "les 3.000 prochaines (...) avant de donner des leçons de morale aux autres", en particulier sur les droits humains.
Il n'est pas certain que cette conférence de presse inaugurale et théâtrale du président de la Fifa, qui a expliqué se sentir tout à la fois "qatari", "arabe", "africain", "gay", "travailleur migrant", mette un terme aux critiques au moment où la plupart des 32 équipes sont arrivées au Qatar.
Le Brésil de Neymar sera la dernière à atterrir samedi soir, à quelques heures de Qatar-Equateur (dimanche 20h00).
Tous les acteurs seront alors là, prêts à animer un des plus grands événements planétaires qui réunira plus d'un milliard de téléspectateurs pour la finale le 18 décembre, dans le superbe stade Lusail, coquille dorée posée aux portes du désert.
Les autres favoris se sont succédé toute la semaine: les tenants du titre français, diminués par les blessures mais dont l'effectif reste impressionnant, puis les Argentins, qui rêvent d'offrir le sacre suprême à Lionel Messi, 35 ans, et le faire rejoindre Diego Maradona dans la légende albiceleste, pour sa cinquième et ultime tentative.
A part l'Italie (1934 et 1938) et le Brésil de Pelé (1958 et 1962), aucun champion du monde n'a conservé son bien.
Les Anglais, inventeurs du jeu mais dans une interminable quête de titre depuis 1966, les Espagnols ou les Allemands rajeunis et talentueux, voire les Pays-Bas de l'expérimenté Louis van Gaal, font également figure de postulants crédibles.
Sans doute plus qu'une Belgique en déclin ou le Portugal peut-être perturbé par le divorce retentissant de sa tête d'affiche Cristiano Ronaldo avec Manchester United.
Dans l'histoire
Quel que soit le spectacle qu'offriront les géants du jeu, ce Mondial-2022 restera dans l'histoire.
C'est le premier dans le monde arabe; le premier aussi à interrompre une saison de football professionnel, programmé à la fin de l'automne pour éviter les chaleurs insupportables de ce pays désertique minuscule, grand comme Chypre ou la région parisienne.
Surtout, jamais un pays organisateur n'avait affronté à un tel flot ininterrompu de critiques: il y eut d'abord les accusations de corruption pour emporter sur le fil la décision de la Fifa en 2010 face au géant américain.
Puis vinrent les critiques sur l'impact environnemental d'un événement qui, selon diverses estimations, aurait coûté plus de 200 milliards d'euros, et nécessité des infrastructures pharaoniques, avec la construction ex nihilo de sept stades et la rénovation du huitième.
Surtout, il y eut la question des droits humains, notamment ceux des personnes LGBTQ+, dans un pays où homosexualité et relations sexuelles hors mariage sont des délits.
Que feront les capitaines des huit sélections qui ont annoncé leur intention de porter un brassard multicolore lors de leurs rencontres?
Le Français Hugo Lloris a finalement renoncé à cette initiative qui déplaisait à Gianni Infantino, lequel a sèchement demandé aux 32 sélections de "se concentrer sur le football".
Travailleurs migrants
Le sort réservé aux travailleurs migrants, qui font fonctionner ce pays de moins de trois millions d'habitants, dont près de 90% d'étrangers, a également été pointé du doigt.
Le Qatar, qui décèle du "racisme" derrière ces attaques, insiste sur les progrès apportés à sa législation sociale en un temps record, et dément que des milliers d'ouvriers aient trouvé la mort sur ses chantiers.
"Dire qu'on ne devrait pas se concentrer sur les droits humains à l'occasion du Mondial, cela m'a vraiment irrité", a dit le président de la Fédération allemande (DFB) Bernd Neuendorf, prêt "à payer des amendes" sur la question, comme la fédération anglaise.
Les autorités qataries ont à plusieurs reprises promis que tous les fans seraient accueillis "sans discrimination", tout en appelant le million de visiteurs attendus à respecter culture et sensibilités locales.
La volte-face des autorités qataries, qui ont subitement interdit vendredi la vente d'alcool près des stades, pose question.
Pour Alex Burgos, un Mexicain de 45 ans qui se taille un beau succès sur la Corniche de Doha avec son masque de catcheur, "ce n'est pas un problème, nous savions qu'il y aurait des restrictions" sur l'alcool. Et de l'avis de Gianni Infantino, les fans peuvent "survivre" sans "bière pendant trois heures"...
L'Iran observé
Là n'est pas le problème pour la FSA, l'association des supporters anglais, dont des milliers sont attendus lundi pour le match des Three Lions contre l'Iran: après ce revirement soudain, "les supporteurs nourriront des inquiétudes compréhensibles" sur la capacité des autorités locales "à respecter leurs promesses sur d'autres questions".
Comment réagiront les forces de sécurité devant un drapeau arc-en-ciel, un couple s'embrassant sur la voix publique, ou des supporters en état d'ébriété?
L'ouverture samedi en début de soirée de la Fan zone de la Fifa, où l'alcool est autorisé, sera un test.
Il y en aura un autre dimanche et surtout lundi, avec trois matchs à Doha dans la journée: il faudra convoyer des dizaines de milliers de supporters dans les stades, une gestion de flux inédite au Qatar.
Autre sujet qui pourrait faire passer le sport au second plan, le comportement des joueurs iraniens. Exprimeront-ils leur soutien aux manifestations contre le régime? Ce sera une "décision personnelle", a répondu cette semaine leur capitaine Alireza Jahanbakhsh.
Leurs débuts contre l'Angleterre et leur match contre les Etats-Unis le 29, revanche de la rencontre historique du Mondial-1998, seront au centre de l'attention.