Un des rôles des fédérations est de s’assurer d’une préparation optimale pour leurs sportifs de haut niveau en vue des échéances internationales. En trois semaines, une médaillée d’argent des Jeux du Commonwealth et un médaillé d’or des Championnats d’Afrique ont déploré un manque de soutien. À qui la faute ?
Quelque chose ne tourne certainement pas rond. Roilya Ranaivosoa remporte l’argent en haltérophilie aux Jeux du Commonwealth le 5 avril et se montre implacable devant sa fédération de l’avoir privé des moyens nécessaires. Au cours de la semaine, le triathlète Grégory Ernest pointé du doigt sa fédération après avoir décroché une médaille d’or aux Championnats d’Afrique U23. Les fédérations, qui sont subventionnées par l’argent public à travers les allocations du ministère de la Jeunesse et des Sports jouent-elles leurs rôles à fond ?
Pour Roilya Ranaivosoa, il ne fait pas de doute : « Je n’ai pas eu le soutien nécessaire de la part de la fédération. Au cas contraire ma médaille d’argent aurait pu se transformer en or. Je suis l’unique médaillé des derniers Jeux du Commonwealth. Lorsque j’ai demandé à bénéficier d’un stage à l’étranger, on m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas le financement nécessairement à cet effet. Je ne peux que compter sur l’aide et le soutien de ma famille. Je reçois certes une allocation financière de la High level Sports Unit mais est-ce que cela va suffire pour que je progresse ? »
Poorun Bhollah, président de la Fédération mauricienne d’haltérophilie, explique qu’il est difficile de manœuvrer avec un budget limité. « Il nous faut des sous pour cela. La préparation des athlètes est un processus continue. Nos athlètes n’ont pas pu effectuer un stage en Chine avant les Jeux du Commonwealth car le budget de la Fédération était épuisé. Nous avons même frappé la porte de l’ambassade de Chine pour nous aider. Même si les athlètes n’ont pas eu de stage à l’étranger, la fédération s’est assurée que les sélectionnés aient une bonne préparation », assure-t-il.
Dans la foulée, Poorun Bhollah fait ressortir qu’un montant est alloué sous l’item ‘elite sport’ dans le budget fédéral. « Ce montant couvre tous les frais de déplacements (billet d’avion, hébergement, transports entre autres) des athlètes pour des compétitions internationales, la préparation et les stages. Roilya Ranaivosoa a prouvé qu’elle a le potentiel pour briller sur l’échiquier international. Nous avons investi un montant de Rs 2.5 millions sur elle au cours de ces quatre dernières années », souligne-t-il.
Legentil dégringole
Pour sa part, Grégory Ernest peste contre la Fédération mauricienne de triathlon (FMTri). Il pense qu’un manque de considération l’a empêché de réaliser un doublé U23-Élite lors des Championnats africains, au Maroc. « C’est frustrant de terminer à 16 secondes du vainqueur au général. J’ai donné le meilleur de moi-même, mais avec une préparation adéquate j’aurai définitivement réussi le doublé. La fédération ne fait que le strict minimum pour moi, comme payer mon billet pour aller aux Championnats d’Afrique. Une fois sur place, je n’ai ni l’encadrement ni l’aide nécessaire. Heureusement que j’ai pu entamer des démarches auprès de l’international Triathlon Union afin d’intégrer le ITU development program », explique-t-il.
Le président de la FMTRI étant absent du pays, personne ne veut réfuter l’athlète. Une réunion est prévue en ce qui concerne les préparations pour les compétitions à venir une fois qu’Alain St Louis sera de retour.
Le cas de Christianne Legentil est alarmant. La judokate est rentrée bredouille des Championnats d’Afrique, au Maroc en avril, pour la première fois. Elle comptait cinq médailles d’argent en autant de participations. Elle est catégorique : « Je ne cherche pas d’excuse. Je n’ai pas eu de compétitions et de frottements depuis sept mois. Je ne vais pas progresser sans compétitions et stages de haut niveau. D’ailleurs, j’ai dégringolé au classement mondial. J’étais dans le Top 30 mais désormais j’occupe la 49e place dans ma catégorie », regrette-t-elle. La Rodriguaise s’inquiète pour son avenir.
« Comment est-ce que je pourrai décrocher ma qualification pour les Jeux Olympiques de 2020 alors que je ne participe pas à des tournois internationaux ? Je m’inquiète énormément », ajoute la judokate.
François de Grivel, président du Caretaker Comittee de la Fédération mauricienne de judo, avoue qu’il n’y a rien de prévu à cet effet. « Pour le moment il n’y a aucun plan d’action en particulier. Cela dépendra des judokas », s’est-il contenté de répondre.
Sans un support appuyé de leurs fédérations, les sportifs peuvent difficilement surmonter les obstacles et briller sur la scène internationale. Ranaivosoa et Ernest sont des exceptions qui ne risquent pas de durer si rien n’est fait.
MJS - Rs 67 millions comme allocations
Au niveau du ministère de la Jeunesse et des Sports, on avance que tout sur le plan de la préparation des sportifs concerne les Fédérations. « Elles disposent d’un budget du ministère de la Jeunesse et des Sports. Lors du dernier budget, un montant supplémentaire leur a été accordé dans le cadre de la préparation pour les Jeux des Iles de l’océan Indien 2019 », explique un officier du ministère. Dans la foulée, il devait rappeler qu’un montant de Rs 67 millions a été alloué à 40 fédérations pour l’année financière 2017-2018. « Il faut se rendre à l’évidence que le ministère est le plus gros pourvoyeur de financement des fédérations. Il y a des bourses notamment de la High Level Sports Unit qui sont allouées, il y a aussi l’apport financier du Trust Fund for Excellence in Sports aux sportifs et aux fédérations sportives », souligne-t-il.
Support fédéral : il existe des exceptions
Si certains sportifs ont toutes les peines du monde pour pouvoir se préparer adéquatement en vue de compétitions majeures, pour d’autres ce problème n’existe pas. C’est le cas pour le tireur Fabrice Bauluck, double champion du monde junior et senior, et détenteur de la ceinture mondiale des moins de 54 kg. « Je suis entouré de ma famille. Cela fait des années que je m’entraîne à Maurice et les résultats sont plutôt favorables. Les Mauriciens ont du potentiel, tant les athlètes que les entraîneurs. Nous devons croire en nous », souligne-t-il.
Fabrice Bauluck est d’avis qu’un stage n’est pas toujours essentiel. « Cela permet d’avoir davantage de sparring-partners. Un stage a pour but de faire les petits réglages, car le plus gros travail se fait avant. Mais je respecte entièrement ceux qui sont d’avis qu’un stage est essentiel à leur préparation », fait-il ressortir.
Richarno Colin, a été éliminé en quarts de finale dans la catégorie des moins de 64 kg, en boxe, lors des Jeux du Commonwealth. Il n’a rien à redire sur les facilités qu’offrent l’Association mauricienne de boxe (AMB) et le ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS). « Tous les boxeurs de la catégorie élites ont bénéficié des entraînements et des déplacements à l’étranger pour préparer les grands rendez-vous. L’AMB fait beaucoup d’efforts pour trouver les moyens nécessaires pour nous encadrer. On a seulement besoin de plus de combats face à des différents adversaires pour progresser davantage », dit-il. Et d’ajouter : « Les résultats viendront bientôt, surtout avec le bon travail du Directeur technique national, Roberto Ibanez Chavez, et du staff technique. »
Questions à Stéphan Buckland : «Le sport mauricien a besoin d’un renouveau»
Stéphan Buckland a connu les plus grandes plateformes mondiales. Ayant été pendant de nombreuses années athlète de haut niveau, il estime que le sport mauricien doit connaître un renouveau. Par ailleurs, il est inquiet du niveau à l’approche des Jeux des Îles de 2019.
Plusieurs sportifs ont déploré l’absence d’une préparation adéquate avant les grandes compétitions. Que manque-t-il à Maurice pour assurer une bonne préparation des sportifs de haut niveau ?
Nous avons les infrastructures à Maurice pour bien préparer les athlètes. Cependant, il y a un manque de moyens financiers et d’équipements pour l’athlète lui-même. S’il veut briller sur les plus grandes scènes, il doit pouvoir pratiquer son sport à plein temps. Pour cela, il doit avoir les moyens nécessaires pour pouvoir atteindre ses objectifs. Un sportif a beaucoup de dépenses à faire, car son mode de vie est différent. Par exemple, il mange différemment et cela peut s’avérer coûteux. Trouver l’argent nécessaire est un stress pour l’athlète et cela impactera sur ses performances.
La situation est-elle alarmante ?
Quand la seule médaillée mauricienne aux derniers Jeux du Commonwealth dit qu’elle n’a pas eu une bonne préparation, il faut se poser des questions. La situation n’est pas brillante à environ un an des Jeux des Îles. Si nous continuons de cette manière, cela ne va pas bien se passer pour Maurice lors de ces Jeux. Il faut redresser la barre.
Comment remédier à la situation, selon-vous ?
Il faut revoir tout le système. Le sport mauricien a besoin d’un renouveau. Le gouvernement et les dirigeants doivent repenser leurs priorités. Quand le ministère traite les Jeux de la Francophonie de la même manière que les Jeux du Commonwealth, il y a un problème. Le niveau n’est pas le même. La plus grand rendez-vous après les Jeux olympiques est les Jeux du Commonwealth. Il ne faut également pas trop mettre l’emphase sur les Jeux des Îles. Le niveau de l’océan Indien est loin d’être une référence. Il faut relancer le système et prendre dans un premier temps comme repère les Championnats d’Afrique, avant de viser plus haut. Aussi, une préparation ne se fait pas à quelques mois d’une grande compétition, mais quatre ou huit ans en avance.
Qu’en est-il de la responsabilité de l’athlète lui-même ?
Un athlète doit savoir ce qu’il veut et bien définir ses objectifs. Avant de participer à des grandes compétitions, je me suis entraîné pendant de nombreuses années. Il faut avoir beaucoup de patience pour réussir. Le travail d’aujourd’hui peut porter ses fruits dans cinq ou dix ans. Un sportif qui aspire à rivaliser avec les meilleurs doit manger sport, boire sport et dormir sport. Il doit également s’entraîner au minimum six jours sur sept. Par ailleurs, l’encadrement des parents est également essentiel.
High Level Sports Unit : 117 boursiers pour le premier trimestre
117 sportifs mauriciens bénéficient actuellement d’une bourse de la High Level Sports Unit. Les boursiers sont répartis en quatre catégories, à savoir mondiale (Rs 29 000 – Rs 35 000), intercontinentale (Rs 16 000 –Rs 23 000), continentale (Rs 9500 – Rs 14 000) et régionale (Rs 6500 – Rs 8500).
Pour la période janvier à mars 2018, seuls trois athlètes sont inscrits dans la catégorie mondiale, à savoir David Carver (marathon), Fabrice Bauluck (kick-boxing) et Noemi Alphonse (handisport). Ces derniers touchent Rs 29 000 chacun. 18 sportifs perçoivent une bourse intercontinentale, 25 une bourse continentale, et 56 une bourse régionale. Par ailleurs, 15 sparring-partners reçoivent une allocation de Rs 5000.
En athlétisme, 22 athlètes sont boursiers dans les différentes catégories. Le badminton en compte 9, la boxe 19 incluant neuf partenaires d’entraînement, le cyclisme 8, un seul pour l’escrime, le ju-jitsu, le tennis et le triathlon, 14 pour le judo, 7 en tennis de table, 4 en kick-boxing, 6 pour la natation, 12 pour l’haltérophilie et 15 en handisports.
Sheila Seebaluck (TFES) : «Nous offrons l’assistance financière et le soutien académique»
Le Trust Fund for Excellence in Sports apporte son soutien dans la préparation des athlètes pour les évènements sportifs. Le CEO Sheila Seebaluck explique le fonctionnement : « Le Trust Fund a des ‘memorandum of understandings’ (MOUs) avec le ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS) et le ministère de l’Éducation. Cela, afin que les sportifs ne soient aucunement pénalisés. Ils auront leur chance de pratiquer le sport tout en s’assurant qu’ils peuvent poursuivre leurs études. Par exemple, ils ont l’assistance financière, le soutien académique et le Trusf Fund fait de nombreux arrangements pour leur faciliter la tâche.
De plus, ils sont pris en charge par l’état, aussi longtemps qu’ils répondent aux critères et apportent les résultats sportifs et académiques escomptés. » Toutefois, Sheila Seebaluck n’a pas souhaité donner des détails quant aux montants alloués.
COM : budget pour des compétitions spécifiques
Le Comité olympique mauricien (COM) aide les athlètes dans la préparation en vue de certaines compétitions. « Nous n’avons pas le budget du ministère de la Jeunesse et des Sports pour subventionner les fédérations sportives. Nous recevons des enveloppes des organisations internationales pour la préparation de nos athlètes. C’est surtout dans le cadre des Jeux olympiques, Jeux olympiques des Jeunes et des Jeux du Commonwealth, entre autres », indique Philippe Hao Thyn Voon, président de cette instance.