Nos sports collectifs sont aux soins intensifs. Les performances d’ensemble en football, volley-ball, basket-ball et handball aux récents Jeux des îles de l’océan Indien laissent à désirer. Même le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, a tiré la sonnette d’alarme au lendemain des Jeux. Qu’est-ce qui a mené ces sports dans une telle situation et que faire pour leur redonner leur gloire d’antan ? Les différents intervenants de ce dossier sont unanimes : il faut mettre en place des structures de formation et tout reprendre à la base.
[dropcap]J[/dropcap]adis, le football mauricien s’était fait un nom sur le continent. En 1974, Maurice avait obtenu son unique qualification à une phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations. Et la sélection, dirigée alors par feu Mamade Elahee, n’avait pas été ridicule en Égypte, malgré les trois défaites en autant de sorties.
Dans le temps, le pays a produit de brillants footballeurs, qui se sont exportés dans divers championnats, en Europe, en Australie et en Afrique du Sud. Si dans les années 1980, ce sont de clubs - la plupart à caractère régionaux - qu’émergeaient les plus talentueux, dans les années 1990, les écoles de foot et le Centre de formation de football étaient des viviers desquels puisaient allègrement les clubs phares comme Sunrise, Fire Brigade, Scouts Club et Cadets Club.
La structure de formation mise en place par le technicien français François Blaquart (aujourd’hui DTN de France) avait, par exemple, permis au pays d’acquérir une victoire historique face au Cameroun de Rigobert Song à la CAN Junior. Quinze ans après, ce genre d’exploit est hors de portée.
Le volley-ball n’était pas mal loti non plus. À La Réunion cette année, la sélection féminine a remporté le bronze… sans remporter le moindre match ! Pas de quoi se bomber le torse. Dans le passé, on pouvait s’enorgueillir d’avoir été vice-championne d’Afrique (1989) et d’avoir devancé des pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana et le Botswana aux Championnats d’Afrique de 1993, au Nigeria.
Sur le plan régional, Maurice a été médaillé d’or aux Jeux des îles en 1979, 1990, 1993e et 2003. Depuis, plus rien.
Le néant
C’est le néant aussi en ce qui concerne le basket-ball. Jamais cette discipline n’a primé dans la région. Toujours est-il que ce sport avait un rayonnement national au temps des Attila, Real et autres. Le niveau et l’engouement ont fichu le camp avec l’avènement d’une régionalisation mal planifiée par nos politiques. Quant au handball, il n’a pas vraiment eu l’occasion, ni l’attention nécessaire pour se faire une place au soleil à Maurice. Ce n’est que ces dernières années - les derniers mois précédant les Jeux des îles surtout – qu’il y a eu un forcing. C’est déjà un bon début. Il faut juste poursuivre l’effort et s’assurer qu’il y ait une relève de qualité. Le constat est alarmant. Il est le même qu’il y a quatre ans, voire plus. Le niveau de nos sports collectifs est au plus bas. Et ce n’est pas demain la veille qu’il sera rehaussé si nos dirigeants ne travaillent pas sur un projet d’avenir solide, qui passe inévitablement par la détection, la formation continue et des objectifs ambitieux sur le long terme. [divider style="dotted" top="20" bottom="20"]Yogida Sawmynaden (ministre de la Jeunesse et des Sports) : « Priorité à la formation »
Le ministre a compris que la formation est la seule solution.
[dropcap]L[/dropcap]e ministre de la Jeunesse et des Sports est sur la même longueur d’onde que les différents intervenants du dossier : C’est la formation et un encadrement professionnel qui sortiront les sports collectifs de l’ornière à Maurice. « Priorité sera donné à la formation. Ce sont les jeunes que nous formerons aujourd’hui qui seront nos représentants demain. Il faut donc revoir la base et donner les moyens à ces jeunes de devenir des sportifs accomplis », souligne Yogida Sawmynaden.
Il explique que ce projet a déjà commencé avec le football. « Les écoles de formation sont déjà ouvertes. Nous avons douze institutions, reparties dans diverses régions, et elles seront toutes rattachées au Centre national de formation. Les jeunes qui graviront les échelons de ce système représenteront le pays demain. Je pense qu’il est important de commencer le travail dès maintenant, afin d’avoir les résultats plus rapidement », indique le ministre.
Yogida Sawmynaden ne compte pas limiter ses plans au football. « J’ai déjà rencontré le président de la fédération de basket-ball, et il m’a fait part de ses plans. En volley-ball, la base est là, mais il y a du travail à faire. Pour ce qui est du handball, il faut refaire la formation. Pour tous ces sports, nous comptons également nous tourner vers l’encadrement des jeunes. Nous mettrons en œuvre les moyens nécessaires au bon fonctionnement du projet et je pense que nous verrons des résultats d’ici deux ans », avance-t-il.
Il souligne qu’il compte également relancer les compétitions pour les jeunes. « Nous avons pour projet de relancer les tournois inter-collèges pour toutes les disciplines collectives. Je pense aussi à mettre sur pied des ligues -12, -14 et 17 ans, entre autres », explique Yogida Sawmynaden.
Par ailleurs, le ministre déplore le fait que certains DTN sont sous-utilisés. « Ces personnes ont été appelées pour aider le sport à Maurice et leur connaissance ainsi que leurs compétences doivent être utilisées à bon escient », fait-il ressortir.
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Football: Se réinventer ou disparaître
La professionnalisation devrait permettre de rehausser le niveau du football mauricien.
Avec une modeste troisième place aux Jeux des îles, le sport roi n’arrive toujours pas à redorer son blason. Le foot version professionnelle est encore à ses premiers balbutiements et des changements sont en cours pour tenter de sauver le football mauricien.
[dropcap]L[/dropcap]e Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, a promis des mesures spéciales pour redresser la situation. Une initiative saluée par l’entraîneur national, Alain Happe, qui se veut rassurant pour l’avenir du football mauricien. « En tant que Directeur technique national, j’ai à ma charge les deux sélections nationales. Avec le football professionnel, le véritable changement viendra au fil des années. J’ai noté un manque d’expérience de nos joueurs sur le plan international. On a un groupe de jeunes qui ont pu acquérir de l’expérience avec la COSAFA Cup, la CAN et les Jeux des îles, à l’instar d’Adrien Botlar et Kevin Perticot. Maintenant, il faudra continuer le travail avec les deux sélections nationales et qu’on puisse bénéficier davantage de frottements internationaux, afin de rehausser le niveau », explique le technicien français.
Réouverture du CTNFB
Dans la foulée, Alain Happe s’est réjoui de la réouverture des écoles de foot, des centres techniques régionaux (CTR), ainsi que du Centre technique national François Blaquart (CTNFB). « Ces centres techniques sont la cheville ouvrière des jeunes footballeurs. Il faudra les encadrer et les faire jouer ensemble dès leur jeune âge. On devra instaurer l’esprit d’équipe à ces jeunes, qui reprendront le flambeau. L’objectif est d’assurer qu’ils deviennent des joueurs professionnels et des cadres pour la sélection nationale », précise le technicien français. Même son de cloche du côté des dirigeants des clubs. Le président du Curepipe Starlight SC, Sarjoo Gowreesunkur, souhaite avant tout qu’on ne fasse pas les mêmes erreurs du passé. « Le football local n’a pas évolué ces dernières années. On a vu le résultat lors des Jeux des îles. La Mauritius Professional Football League est venue avec le projet de professionnaliser le football et c’est une bouffée d’air frais pour le football local. On est à notre deuxième saison du football professionnel. Il faut continuer le travail pour avoir les résultats escomptés. Les clubs phares des différentes régions devront travailler en étroite collaboration avec les centres techniques de leurs régions et les écoles de foot », souligne l’entraîneur. Sarjoo Gowreesungkur est plutôt optimiste : « Le Centre technique national François Blaquart a pendant des années produit des jeunes footballeurs talentueux. Il faudra inciter les jeunes à se perfectionner pour qu’on puisse avoir du sang neuf pour la sélection nationale. Il faudra surtout permettre aux jeunes d’avoir une bonne structure. Les écoles de foot devront promouvoir l’identité régionale parmi les jeunes. Avec le CTNFB et la professionnalisation du football, on peut aspirer à un meilleur avenir pour le football local. » [divider style="dotted" top="20" bottom="20"]Volley-ball: Miser sur les jeunes
Il faut remplacer les cadres vieillissants en volley-ball.
[dropcap]L[/dropcap]e volley-ball mauricien n’a pas brillé aux derniers JIOI. Si les hommes ont remporté une médaille de bronze, la sélection féminine est elle rentrée bredouille. Le Français Fabrice Chalendar, qui a fait office d’entraîneur national durant la période des Jeux, ne brosse pas un tableau sombre malgré l’absence de résultats. « Les filles sont encore jeunes. Le niveau n’est pas mauvais, mais il faut encore travailler le côté technique et le jeu. Chez les hommes, Maurice se trouve parmi les trois ou quatre meilleures équipes de l’océan Indien. Le problème est que la génération actuelle vieillit, alors que les jeunes ne sont pas encore prêts pour se lancer seuls », estime le technicien.
Pour ce dernier, la solution est de miser sur la formation. « Il faut reprendre à la base et investir dans les jeunes. Il faut de grands gabarits et la priorité devrait être la formation », souligne l’ex-DTN.
Même son de cloche pour Fayzal Bundhun, président de l’Association mauricienne de volley-ball (AMVB) et ancien entraîneur national. « Auparavant, il y avait les inter-collèges. Je pense qu’il faut relancer cette compétition pour les différentes catégories d’âge. Il faut former les jeunes et faire un suivi continu. Pour les mener à bon port, il leur faudra un bon encadrement », explique le président.
Chalendar prêt à aider
Il préconise également une meilleure utilisation des infrastructures existantes. « Pourquoi ne pas avoir des tournois interclubs ? Les clubs eux-mêmes doivent former leurs joueurs. Les infrastructures sont là. Combien de gymnases dans les écoles ou encore dans les centres communautaires ne sont pas utilisés au maximum ? On devrait s’en servir. Il faudra aussi former les entraîneurs, car travailler avec les plus jeunes n’est pas le même qu’entraîner des joueurs plus âgés. Les équipements nécessaires devraient également être mis à la disposition des entraîneurs », estime Fayzal Bundhun. Et d’ajouter : « Il faut revoir la base et penser sur le long terme. Cela demandera du temps. » Fabrice Chalendar est, lui, partant pour aider le volley-ball mauricien à se reconstruire. « J’ai déjà travaillé avec des jeunes. Si on veut réussir dans le volley-ball, il faut revoir le système dès la base. Il faut former des jeunes qui seront suffisamment bons pour jouer dans des championnats à l’extérieur. C’est ce contact avec les championnats de haut niveau qui les rendront meilleurs. Je suis prêt à accepter un tel projet », avance-t-il. [divider style="dotted" top="20" bottom="20"]Basket-ball: Du sérieux requis
Maurice est le petit poucet de la région en basket-ball.
Le basket-ball mauricien touche le fond. Les récentes performances des équipes masculine et féminine lors des Jeux des îles confirment le ‘downfall’ de cette discipline.
[dropcap]P[/dropcap]our le DTN Charles Tassin, la mauvaise organisation au niveau fédéral n’aide pas la discipline. « Maurice a fait venir un DTN, pour ensuite l’empêcher de travailler. D’abord on m’a imposé une sélection, alors que c’était convenu que c’est moi qui allais choisir les sélectionnés. Il n’y a pas de coordination au niveau de l’administration », remarque-t-il.
Le technicien déplore également le manque criant de compétitions de haut niveau. « Les joueurs se sont donnés à fond aux récents Jeux. Mais cela fait quatre ans, qu’ils n’ont pas joué des matches internationaux, même amicaux. De ce fait, ce n’est qu’aux Jeux qu’ils ont découvert la dureté de la compétition. Certains ont péché par manque d’expérience. Il faut tout revoir au niveau de la fédération. Et les entraîneurs ainsi que le DTN doivent avoir les mains libres et, surtout, le support afin de relancer la discipline », fait-il ressortir.
Rakesh Chundunsing, ancien joueur et entraîneur de la sélection nationale, ne passe pas par quatre chemins : ce sont les dirigeants les responsables de la situation du basket local. « Que savent les dirigeants, le ministre et ses conseillers, donc les décideurs dans leur ensemble, du basket-ball? Pa grand-chose à mon avis ! J’ai l’impression que certains joueurs qui évoluent au sein d’équipes particulières sont protégés. Il n’y a pas de politique de détection. Les sélectionnés n’ont pas travaillé sur leur condition physique, qui est lamentable, selon moi. Techniquement c’est une catastrophe », dit-il.
L’ancien joueur d’Attila et du Real penche pour une réorganisation en profondeur de la Fédération. « Sous ma férule en 2011, on a battu les Comores, avant de chuter sur une marge minimale face à La Réunion. Pour moi, il faut ramener des gens capables, comme Didier Moutou, et des anciens joueurs qui connaissent le basket-ball, afin de rebâtir une équipe digne de ce nom. Il faut procéder par des exercices de détection et une formation sur le long terme. Alors seulement nous aurons des basketteurs capables de défendre Maurice dignement », conclut-il.
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Handball: Être sur un pied d’égalité
Le handball mauricien veut se donner les moyens pour réussir.
[dropcap]L[/dropcap]as des beaux discours et des promesses d’après Jeux, Daniel Gérard, président de l’Association mauricienne de handball, ne passe pas par quatre chemins pour dire tout haut ce que de nombreux dirigeants des sports collectifs pensent tout bas. « Il n’y a pas que le foot comme sport collectif. On donne beaucoup de moyens aux clubs de football, près de Rs 500 000 par an. Si des clubs de volley-ball, de basket-ball et de handball recevaient au moins la moitié de cette somme, tout aurait évolué », fait-il ressortir.
« Un club de handball reçoit seulement Rs 25 000 de la municipalité. Pensez-vous que c’est assez pour faire fonctionner les équipes masculine et féminine ainsi que les -20 ans, -17 ans, -13 ans et aussi faire de la détection ? », s’interroge Daniel Gérard. Et d’ajouter : « Tous les dirigeants savent ce qui doit être fait. On a besoin de reprendre tout à la base. On ne peut pas faire une pyramide inversé. Pour se faire, il faut se donner les moyens de payer les entraîneurs et les instructeurs pour s’occuper des jeunes. Certains le font bénévolement pendant un temps, et ensuite lâchent prise. Une rémunération les aurait motivés. Nous devons même mendier pour remplir les places lors des stages pour entraîneurs. »
Concernant la compétition de haut niveau, Daniel Gérard rejoint le souhait de son homologue de la Fédération d’athlétisme, Vivian Gungaram : « Les Jeux de 2019 doivent être préparés dès maintenant. Et non six mois avant l’échéance. Il faut continuer à soutenir les sélections pour qu’elles puissent progresser. Nous avons aussi des problèmes d’infrastructures, avec un nombre limité de gymnases, ce qui force les clubs à se battre pour avoir des créneaux afin de s’entraîner. Tout est une question de moyens financiers. C’est la dure réalité. »
Le Français Dominique Filleul, qui était à la tête des sélections de handball lors des derniers Jeux des îles, est d’avis qu’il faut travailler sur trois axes : « Nous devons d’abord travailler sur la détection et la formation des jeunes qui seront aptes à jouer en sélection dans six à huit ans. À court terme, nous devons identifier des joueurs talentueux et trouver des clubs pour qu’ils évoluent à l’étranger. Car le niveau de notre championnat est trop bas, comparé à celui de La Réunion par exemple. Et finalement, nos sélections doivent participer à un maximum de tournois internationaux, et, s’il le faut, on devrait inviter des équipes nationales étrangères régulièrement pour avoir un maximum de frottements. Tout ceci implique plus de sous. Atteindre le haut niveau à un coût ! »