L’expertise étrangère est de plus en plus recherchée au sein du sport mauricien. Les fédérations veulent bénéficier des services d’un entraîneur ou d’un Directeur technique national (DTN) étranger pour aider à hausser le niveau. Et ces « indispensables » coûtent les yeux de la tête.
Actuellement, le ministère de la Jeunesse et des Sports est en présence de plusieurs requêtes des fédérations sportives pour l’embauche d’un technicien étranger. C’est principalement la compétence et l’expérience de ces derniers qui font qu’ils ont la cote. L’État est très disposé à aider les disciplines concernées en payant les salaires et bénéfices de ces oiseaux rares, car il est difficile d’atteindre les objectifs fixés si on ne met pas le prix.
Philippe Hao Thyn Voon, président du Comité olympique mauricien (COM) et membre exécutif de l’Association mauricienne de tennis de table (AMTT), abonde dans ce sens. « Il ne faut pas se voiler la face. Nous avons, certes, de bons entraîneurs mauriciens, mais nombreux sont ceux qui n’ont pas les compétences du haut niveau. Nous ne pouvons progresser sans un encadrement adéquat. D’où ce besoin d’aller chercher ailleurs et de faire appel à l’expertise étrangère pour pallier ces manquements. »
Dans la foulée, il fait ressortir que les entraîneurs locaux ne sont pas à blâmer, mais qu’ils doivent avoir l’opportunité de se perfectionner. « Nos techniciens ont un grand besoin de formation. Car même si nous avons l’expertise étrangère, les entraîneurs locaux sont également appelés à apporter leur pierre à l’édifice », souligne-t-il.
Au sein du football local, le recrutement de l’ancien international français Didier Six comme Directeur technique national est porteur d’espoir. « Un technicien de calibre, c’est ce qui manquait à notre sport roi durant ces dernières années. Je n’ai aucun doute que le travail de Didier Six et de son adjoint, Alain Happe, apportera les résultats escomptés et aidera grandement le football mauricien à remonter la pente. D’ailleurs, nous avons eu l’occasion de constater le progrès au niveau du jeu lors des deux matchs internationaux amicaux. Nos locaux ont bien tiré leur épingle du jeu », déclare le vice-président de la Mauritius Football Association (MFA), Mustapha Chitbahal.
Trouver le bon profil
Le cyclisme veut aussi emboîter le pas. La fédération concernée a d’ailleurs formulé une demande pour s’attacher les services d’un Sud-Africain. Pour le président de la Fédération mauricienne de cyclisme (FMC), Hervé Flore, l’expertise étrangère est la solution pour hausser le niveau du cyclisme local. « Nous avons un entraîneur sud-africain dans le viseur. Si ce projet aboutit, le cyclisme dans son ensemble en bénéficiera », dit-il.
Par contre, après que le Malaisien Raymond Stevon eut décliné l’offre pour le poste de DTN, l’Association mauricienne de badminton (AMB) a déjà enclenché les démarches pour trouver quelqu’un d’autre. « Il nous faut un technicien étranger pour assurer le développement et la progression de la discipline. Nous avons des entraîneurs qui font un excellent travail, mais cela se limite à un certain niveau », avance le président de l’AMB, Bashir Mungroo. Et de poursuivre : « Sans pour autant discréditer qui que ce soit, il faut se rendre à l’évidence qu’il nous manque un technicien chevronné pour prendre les rênes de l’équipe nationale et pour mettre en place les structures adéquates pour le badminton. »
De son côté, le basket-ball n’a pas tardé à trouver un remplaçant au Canadien Mark Crncich, à qui il a été demandé de partir à la fin du mois. « Charles Tassin a les compétences pour occuper le poste de DTN. C’est quelqu’un qui a un vécu en tant que joueur de l’équipe de France et aussi en tant qu’entraîneur. De par son expérience et son expertise, il apportera sans nul doute une précieuse aide au basket-ball local », déclare un membre exécutif.
Pour d’autres, il est difficile de trouver l’entraîneur qui a le bon profil. C’est le cas en athlétisme. Le président de l’Association mauricienne d’athlétisme (AMA), Vivian Gungaram, explique la situation au sein de sa discipline. « Nous disposons des structures adéquates. La seule chose qui nous manque est un entraîneur polyvalent, qui prendra en charge les athlètes. Je peux vous dire que c’est vraiment difficile à trouver », lâche-t-il.
Cette grande demande pour les techniciens étrangers lève le voile sur les compétences et, surtout, les limites des fils du sol. Ils sont mis sur le banc de touche au détriment des étrangers, en attendant d’avoir la possibilité de se perfectionner et de faire leur preuve. Et c’est très rare qu’ils arrivent à atteindre le sommet.
Sawmynaden s’y met aussi
Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Yogida Sawmynaden, croit fermement que l’expertise étrangère aidera le sport mauricien à progresser et franchir un nouveau cap. En effet, il a promis son aide à plusieurs fédérations pour trouver l’oiseau rare. « Le ministère apportera son soutien aux fédérations sportives dans la mesure du possible. Nous voulons aider les athlètes à atteindre leurs objectifs et permettre le développement et la progression du sport mauricien. »
Ce que touchent les étrangers
Nom Nationalité Poste Salaire Bénéfices
Philippe Pascal Français DTN Natation Rs 51 600 Rs 47 500
Urdas Constantin Roumain DTN Haltérophilie Rs 54 275 Rs 17 525
Mark Crncich Canadien DTN Basket-ball Rs 54 275 Allocation Rs 23 525
George Oyoo Kenyan DTN Tennis Rs 75 000 (Du MJS à la Fédération)
Didier Six Français DTN Football Rs 600 000 Rs 100 000 (environ)
Michael Glover, CEO du Trust Fund for Excellence in Sports : «Tout ne se fait pas d’un coup de baguette magique »
Quelle est l’importance d’avoir un technicien étranger au sein d’une fédération sportive ?
Il faut d’abord bien faire la différence entre les attributions d’un Directeur technique national (DTN) et ceux d’un entraîneur national. Et les fédérations doivent savoir de quoi elles ont besoin actuellement. Chaque fédération a besoin d’un entraîneur national étranger. On me dira pourquoi ne pas faire confiance à des Mauriciens ? Je suis pour, si l’entraîneur mauricien possède au moins les mêmes compétences que son homologue étranger. Le haut niveau est très différent des compétitions locales. Les quelques fédérations qui ont déjà un entraîneur national étranger depuis un bout de temps font très bien, comme Philippe Pascal à la natation et Florian Vellici au judo.
Les demandes pour embaucher les techniciens étrangers sont faites principalement à l’approche des Jeux des îles. Après ils partent ou sont limogés. N’est-ce pas une perte de temps et un gaspillage d’argent ?
Nous avions engagé un bon nombre d’étrangers lors des JIOI, en 1985 et 2003, avec pour objectif d’entraîner les athlètes et aussi de former les entraîneurs mauriciens. Les résultats fournis durant les années qui ont suivi étaient excellents. Ensuite, tout cela a cessé d’un coup et on a constaté que dans la majorité des cas les techniciens locaux n’étaient pas à la hauteur. Pour les prochains JIOI, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Tout ne se fait pas d’un coup de baguette magique en sport. C’est un travail de longue haleine. C’est pour cela qu’il faut avoir un technicien étranger en place sur la durée, pas pour quelques mois seulement.
Quelle sera, selon vous, la performance de nos athlètes lors des JIOI de 2015 ?
Certains sports individuels seront à la hauteur, mais les sports collectifs éprouveront des difficultés. Les résultats dans leur ensemble ne seront pas terribles. L’actuel ministre des Sports démontre beaucoup de volonté et fait vraiment l’impossible pour aider les fédérations, mais le bilan négatif sera celui de la politique appliquée antérieurement à sa venue. J’ai aussi dit au ministre qu’il fallait se projeter sur 2019, surtout, si nous obtenons l’organisation des Jeux. Cela nous permettra de rénover ou de construire des nouvelles infrastructures sportives, qui sont indispensables, et de donner un nouveau souffle, nécessaire au sport mauricien.
Jean-Claude Nagloo (G) et Rajen Dorasami(D) sont les seuls Mauriciens à avoir occupé le poste de DTN.
Les ex-DTN mauriciens - Nul n’est prophète en son pays
Rajen Dorasami (football) et Jean-Claude Nagloo (boxe) sont les deux seuls Mauriciens à avoir eu l’opportunité d’assumer le poste de Directeur technique national (DTN).
Le premier nommé a connu une courte carrière à ce poste : d’avril 2013 à décembre 2014. L’entraîneur de football avance que c’est difficile de se faire accepter par la communauté sportive et même par la population dans son ensemble lorsqu’on est un DTN mauricien. « C’est un travail à long terme. Que ce soit un Mauricien ou un étranger, il faut lui donner du temps. À court terme, il n’y a personne qui peut réaliser des exploits. » Et de préciser : « Malheureusement, à Maurice, il est triste de constater que les entraîneurs locaux n’ont pas la cote. Pourtant, ce ne sont pas les gens expérimentés qui manquent dans les différentes disciplines. Je connais beaucoup qui peuvent assumer ce poste. » De même, Rajen Dorasami déplore les facilités qui sont offertes aux étrangers alors que les locaux n’obtiennent pas le même traitement.
Même son de cloche du côté de Jean-Claude Nagloo. Pour lui, ce sont surtout les dirigeants des fédérations qui sont à blâmer. « Ils ne veulent pas donner la chance aux Mauriciens. Ils préfèrent privilégier un étranger. » Il a été en poste d’avril 2009 à juin 2013 et a grandement aidé à l’avancement de la boxe à Maurice. Il a encadré les stars du moment, les frères Colin, Kennedy St Pierre ou autre Ludovic Bactora. « Dans mon cas, je pense que beaucoup étaient jaloux des petits à côté qui m’étaient offerts, telle une voiture ‘duty free’ par exemple. Les nouveaux dirigeants m’ont montré la porte… », dit-il, amer.
Il souligne qu’un DTN local voit les choses autrement, car il connaît les réalités de la vie mauricienne. En tout cas, il est favorable à l’idée de donner la chance soit donnée aux locaux qui ont l’expérience et la compétence voulues.
La boxe a exprimé son souhait d’avoir un entraîneur étranger.
Les disciplines en attente - Elles veulent aussi être ‘in’
Comme l’embauche de technicien étranger est à la mode en ce moment, les fédérations multiplient les demandes dans ce sens. Certaines fédérations sportives, à l’instar de la boxe, du badminton, du volley-ball et du basket-ball sont toujours en attente du feu vert du gouvernement pour finaliser l’arrivée d’un technicien étranger.
Ainsi, l’Association mauricienne de boxe (FMB) met les bouchées doubles afin de recruter un entraîneur cubain, en la personne de Roberto Ibanez. Selon le président de la FMB, Pascal Telvar, l’arrivée d’un entraîneur étranger pourra élever davantage le niveau de la boxe mauricienne. Si les démarches aboutissent, le Cubain arrivera à la fin de ce mois.
Après la résiliation du contrat de Mark Crncich comme DTN, la Fédération mauricienne de basketball (FMBB) a cette fois-ci jeté son dévolu sur un Français, Charles Tassin. Selon nos informations, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Yogida Sawmynaden, qui se trouve actuellement en France, rencontrera le technicien dans l’Hexagone afin de conclure les négociations.
De son côté, la fédération de volley-ball a signalé son intention au ministère de la Jeunesse et des Sporsts d’avoir recours aux services d’un technicien étranger. Les dirigeants de cette discipline ont aussi pris la décision d’embaucher un DTN étranger. Les démarches ont déjà été entamées afin de trouver l’oiseau rare.
Formation dispensée aux entraîneurs - Rs 15 000 pour un Brevet d’État
Les entraîneurs doivent débourser une somme de Rs 15 000 pour une formation de Brevet d’État du cadre sportif (Niveaux 1 et 2). La formation est composée de la partie spécifique de la discipline et la partie générale. La partie générale est dispensée par le ministère de la Jeunesse et des Sports et celle spécifique par les techniciens des fédérations sportives.
Sinon, la Solidarité Olympique, à travers le Comité olympique mauricien (COM), alloue des stages de formation à des entraîneurs à l’étranger. Les fédérations olympiques bénéficient à tour de rôle de l’expérience d’un expert de la Fédération internationale, qui anime des cours de formation dans leur discipline respective.
Billet - Investir dans la compétence locale
Ainsi donc, la seule solution pour faire progresser le sport local serait l’embauche de techniciens étrangers. Du moins c’est l’impression qui se dégage, vu le nombre de demandes dans ce sens de la part des fédérations sportives locales au ministère de la Jeunesse et des Sports.
L’expertise étrangère peut certainement aider dans le redressement de la situation. Mais, ce ne sera pas du jour au lendemain que nous récolterons les résultats. Surtout pour les disciplines qui ont toutes les peines du monde à se frayer un chemin, ne serait-ce que sur le plan régional.
Ne nous leurrons pas. À quelques mois des 9es Jeux des îles de l’océan Indien, la venue d’un Directeur technique national (DTN) ou d’un entraîneur national ne garantit nullement des miracles. Alors qu’aucun effort n’a été fait au cours des quatre dernières années, ce n’est pas à la veille de cette manifestation qu’on va tout changer.
Quel est au juste le rôle d’un DTN ? La responsabilité de ce dernier consiste à mettre en place les structures, de s’assurer de la formation à différents niveaux, de faire le suivi de tout ce qui touche au développement de la discipline et aussi de chapeauter la préparation des équipes nationales, avec le concours des entraîneurs nationaux.
Nous avons eu plusieurs DTN au cours de ces dernières années. Certains ont beaucoup contribué dans leur domaine respectif, notamment en athlétisme où les structures sont toujours là. En football également, où François Blaquart, entre autres, a laissé son empreinte. Mais que s’est-il passé après leur départ ?
Les dirigeants n’ont pas vraiment continué le bon travail commencé. Du coup, tout progrès est tombé à l’eau et les disciplines ont reculé. Récemment, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Yogida Sawmynaden, a été choqué de voir l’état du Centre technique François Blaquart. Pour dire que très souvent l’argent dépensé est jeté par les fenêtres.
La perception générale c’est que les techniciens locaux n’ont pas les compétences requises. Mais il faut leur donner les moyens pour qu’ils puissent se perfectionner et acquérir de l’expérience.
À Maurice, nous avons tendance à focaliser sur les athlètes, mais il faudra aussi se pencher sur le cas des techniciens. Car, s’ils ne sont pas aptes pour coacher, comment peut-on s’attendre que le niveau du sport progresse ? La formation continue des techniciens locaux doit être une priorité.
Jean-Claude Nagloo a été un excellent DTN de boxe. Il peut se flatter d’avoir aidé à ramener la médaille de bronze de Bruno Julie aux jeux Olympiques de Pékin. Il est la preuve, si besoin est, que les techniciens locaux peuvent être à la hauteur s’ils ont le soutien requis.